mardi 19 juin 2012

ENJEUX INTERNATIONAUX

Wit and Spirit

A propos des Grecs, entendu le matin du 19 juin 2012 à 6:45 sur France Culture, émission Les Enjeux Internationaux  :
(le Grec :) "Il boit son ouzo"; - j'avais d'abord compris : "Il moissonne au zoo"(*), ce qui me paraissait un peu énigmatique et peu aisé à relier au reproche que l'on fait aux Grecs de ne pas payer leurs impôts. 
Autre exemple d'interférence :
un échange de voix dans le cabinet de toilette, capté entre le bruit du robinet ouvert et celui des brosses à dents en action, avec la radio en fond sonore :
- dit : '... ton petit-fils vient de sortir un tube ! '
- entendu : '... ton dentifrice vient de sortir d'un tube ! '
Dans la situation, les deux messages sont possibles et compatibles, ce qui montre que la confusion peut être génératrice de nouveaux sens et donc enrichir la communication.
On parle de vers holorimes ; l'homophonie, parfois approximative - ce qu'encourage la prétendue absence de tons en français -, joue sur l'ensemble de la séquence syntaxique.     
Deux exemples célèbres :
."Gall, amant de la reine, alla, tour magnanime,
Galamment de la reine à la tour magnanime"
."Étonnement monotone et lasse
Est ton âme en mon automne, hélas !" 
(Louise de Vilmorin, L'Alphabet des aveux)

Le phénomène est multiforme et ne se limite pas au jeu de mots classiques ; il fait intervenir le spectre entier de la langue et de son utilisation. Par exemple, un cas de relations entre langues : j'ai souvenir de cette anecdote d'Amélie Nothomb dans un récit où elle évoque son enfance en Chine,  "Autrefois" étant compris comme 'Dans l'eau très froide'.
Remarque : Du Marsais, dans son traité des tropes (1824), écrivait qu'il se fait plus de figures (: de "style", métaphores, etc.) un jour de marché à la Halle, qu'il ne s'en fait en plusieurs jours d'assemblées académiques. 
Ces confusions de langage ("confusion", du point de vue d'une stylistique de l'écart, qui fait de la poésie le domaine de l'aberration langagière, pathologie de ceux qui ne savent pas qu'il faut appeler un chat un chat !), exploitées par la poétique (= la littérature en général), le jeu de mots, calembour, le slogan publicitaire, et ce depuis belle lurette (Ah, la belle Lurette ...!), tiennent en ce qui concerne la langue française à la spécificité phono-sémantique de celle-ci et à sa culture inhérente bien entendu(e) ; en l'espèce, le type d'humour développé dans chaque aire socio-linguistique étant lié à la langue en même temps qu'à "l'esprit" (*), la forme de conscience, qui l'accompagne.
Mais la confusion peut évidemment venir, s'il s'agit du cinéma, d'une perturbation de la communication, par la mauvaise perception du message oral (dialogues) ou écrit (sous-titres), comme dans cet autre exemple, personnel, lorsque visionnant en version française le film "La dame de fer", les yeux d'abord et bizarrement portés par instinct (mais à quoi répond d'ailleurs un tel réflexe ?) vers le sous-titrage, j'avais lu "... Margaret, les fesses !", de la part du mari de Maggy qui en fait s'exclamait : "... Margaret, les tasses !" - passez moi le lapsus (visuel/graphique) révélateur avec la théière, merci. 
Confusion aussitôt levée, bien sûr, par l'audition quasi simultanée du dialogue, mais ce n'est pas si simple, du fait que, autre phénomène notable, messages oral et écrit ne correspondent pas entièrement, question que je voudrais bien voir éclaircie.
J'ai ainsi relevé approximativement cette en l'occurrence carrément double version de la profession de foi résolue d'autonomie de Margaret Roberts au moment de sa demande en mariage par Mr Thatcher, soit en gros, '... je ne serai jamais une ménagère constamment l'éponge à la main', réplique sous-titrée : "... je ne serai jamais une ménagère toujours occupée à laver les tasses à thé"; - notoire déplacement de références culturelles entre l'oral et l'écrit, mais quel en a été le processus ? 
D'autres fois, il s'agit d'un changement de registre linguistique qui peut n'être pas sans introduire une différence plus ou moins sensible d'effet de sens, ainsi le "foutaises !" émis par le mari, "traduit" serai-je tenté de dire par le sous-titre : "n'importe quoi !"
De multiples problèmes restent donc à résoudre, mais sachons provisoirement passer l'éponge et éviter de boire la tasse, même si je n'irai pas jusqu'à dire que ces questions ne sont pas ma tasse de thé ... Au demeurant, curieux et interrogeant, ce système des sous-titres ponctuant les dialogues cinématographiques dans la même langue ; double emploi, 'mal entendants' oblige, et complexité de la diffusion des films dans plusieurs aires culturelles - je ne connais pas la question mais on constate souvent des choses compliquées dans ce domaine. 
Pour optimiser le phénomène par un cas emblématique, on peut signaler qu'en Asie, beaucoup de films comportent plusieurs sous-titrages superposés en différentes langues : films dialogués oralement en chinois  accompagnés à Hong Kong de sous-titres en mandarin et en cantonais, etc.

(* je trouve  un développement plus sophistiqué de ce genre de confusions dans une fiction policière (: Le Guérisseur - "The Calling" -, de Inger Ash Wolfe) tournant autour d'une enquête pour identifier un curieux personnage de tueur en série :
"Jill Yoon s'empara d'un appareil photo numérique.
- j'ai besoin de prendre trois photos de vous, inspecteur. Une, bouche fermée, une deuxième bouche ouverte, et une autre de votre langue. 
(...) Maintenant, lisez un peu dit-elle en tendant un gros livre et un micro.
(...) L'ordinateur a besoin de savoir comment vous fabriquez les sons. 
(...) Une image de sa bouche apparut / ... à l'écran de l'ordinateur/ sur la tête verte à hauteur des yeux. Presque aussi large que le crâne. Elle entendit Yoon pianoter derrière elle et aussitôt la bouche rétrécit et commença à descendre jusqu'à arriver à l'emplacement normal d'une bouche humaine. Là, elle se stabilisa. Yoon appuya sur une touche et la bouche prit une profonde inspiration.
Hazel /... la policière responsable de l'enquête / plissa les yeux.
- Qu'est-ce que ...
- Regardez.
- Aujourd'hui nous sommes samedi 20 novembre, dit la bouche d' Hazel avec sa propre voix.
Ses lèvres avaient bougé comme si on l'avait filmée en train de prononcer ces paroles. 
- Comment faites-vous ça ?
- Les photos que j'ai prises déterminent la taille de la langue, sa longueur ainsi que le volume de la cavité buccale.
(...) Le logiciel calcule les autres paramètres. Nous parlons de visionétique numérique. Le logiciel traduit les unités phonétiques de langage, les phonèmes, en unités visuelles, les visèmes. On s'en sert d'habitude pour entraîner les sourds à la lecture labiale, mais ça peut marcher aussi dans dans l'autre sens.
(...) beaucoup de visèmes pourraient ne pas correspondre à un seul et unique phonème. Par exemple, lorsque vous dites Tant qu'y a d'la vie, y a d'l'espoir à un sourd, il peut comprendre Où a tu mis le savon noir ? Le contexte compte pour savoir de quoi l'on parle. Mon logiciel va traduire vos quinze images / ... photos de l'enquête relatives à chaque mise en scène des différents meurtres effectuée par le psychopathe : "Howard Spere - (autre enquêteur) - dit que ces personnes ne sont pas mortes avec cette expression.  Le tueur la leur a donnée après. - Se peut-il que le meurtrier leur ait mis quelque chose dans la bouche. Je veux dire pour la maintenir dans telle ou telle position ? demanda Forbes" ; (...) "Quelles que soient les circonstances, il est évident que ces gens émettent un son." / en bien plus que quinze phonèmes, puis il va les aligner pour trouver des ensembles de mots possibles, et après ça, il faudra que quelqu'un trouve dans quel ordre ils vont."

(** j'en profite pour me faire une petite récapitulation du champ sémantique de ce terme si riche : "L'esprit du temps", "faire de l'esprit", "un bel esprit", "avoir bon esprit","faire du mauvais mauvais esprit", "un esprit fort", "faire preuve de présence d'esprit", "une vue de l'esprit", "avoir l'esprit d'à-propos", "venir à l'esprit", "perdre l'esprit", "reprendre ses esprits", "l'esprit de l'escalier" (Rousseau), "avoir l'esprit de suite" ; - si vous en avez, ne vous en privez pas.)



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