mardi 18 septembre 2012

PROPOS A PROPOS DE ... DUJARDIN, 25

Chez Dujardin, pas d'onomatopées  (*)

(* : Meschonnic, l'étymologie et les onomatopées, dans Langage, histoire une même théorie ; "Dans le langage, c'est toujours la guerre" - entretien avec Pierre Gazaix, p. 102-103, à propos du Dictionnaire des onomatopées de Nodier :
"... il y a eu une étouffement de l'étymologie (...). Concernant l'étymologie et l'onomatopée, la philologie au XIXè siècle a eu une visée, cette visée a été de se débarrasser de la nature, de cet envahissement du langage par l'origine, démarche sans obligation ni sanction. C'est-à-dire que, d'une certaine façon, elle était folle. À nos yeux, rétrospectivement. Même si on critique le XIXè siècle d'autre part, il y a eu une folie de l'envahissement du langage par l'étymologie, par la nature, et le XIXè siècle a réagi contre cette folie, cet envahissement, en fondant une science positive du langage, en s'inspirant du modèle des sciences naturelles (Cuvier, Linné) en recherchant des lois, en se donnant des garde-fous, c'est vraiment le cas de le dire, les lois phonétiques. Les philologues du XIXè siècle ont réussi à montrer que ces rapports d'imitation entre les mots n'étaient que des fictions. précisément d'ailleurs, c'est ce que dit étymologiquement le mot "onomatopée". C'est ce que redit Nodier : que l'onomatopée est une fiction de mot, au sens où en anglais on parle de "fiction" pour dire un roman. Une sorte de roman du langage. Mais le XIX è siècle philologique, jusque dans la linguistique officielle de notre temps, n'a cessé de réduire et onomatopée et l'étymologie, pur ne plus faire de celle-ci que ce qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire tout simplement, en termes de linguistique, la provenance d'un mot. Distincte de l'histoire du mot. Mais ce qui est intéressant dans un mot, c'est tout ce qu'il a traversé, ce n'est pas seulement d'où il vient. De ce point de vue l'histoire des mots est plus intéressante que leur provenance."
(chez des linguistes ou des psychanalistes :) "(...) ils continuent de manifester le rêve d'une continuité entre les mots et les choses alors que l'historicité passe par, ou commence à, la discontinuité radicale entre les mots et les choses."
"Il y a bien sûr d'autres fous du langage, et ce genre de rêverie peut sans doute se produire parce que le langage est le lieu même de la motivation, d'une motivation qui na aucune limite... 
(Le langage :) (...) "C'est une matière associative. Mais en tant que matière associative, elle inverse le rapport nature/histoire. Le rapport du XVIIIè siècle, c'était de mettre le langage dans la nature : le langage viendrait de la nature." - p. 105)
Si, par défaut d'établissement d'un sens clairement explicite, les dénominations (onomastique, étymologies, toponymie) se perdent dans une non-forme/sens (**), non-forme et non-sens, où s'engloutit le projet de mise à jour du passé, la pulvérisation lexicale n'aboutit pas chez A. Dujardin à des onomatopées. Pas plus qu'on ne peut le rapprocher des courants de la "Modernité" des débuts du XXème siècle, y voir par exemple l'expression d'un pré- ou para-dadaïsme (***).      
(**: "forme-sens" : contre le dualisme de leur séparation, l'indissociabilité de la forme et du sens selon Meschonnic) 
(*** : "Le terme Dada est inventé en février 1916 à Zürich (Suisse) par les poètes Hugo Ball, Tristan Tzara et les peintres Jean Arp, Marcel Janco et Sophie Taeuber-Arp." Wikipédia, "Dada")

Ceci pour la contemporanéité de notre auteur ; et si l'on remonte en arrière, afin de prendre en considération une ascendance éventuelle conduisant et motivant son discours, je pose "pas d'onomatopées" dans la perspective d'une histoire naturelle du langage et, à travers le langage, de l'Histoire ; l'impensé de Dujardin serait "l'état de nature du langage" dans une relation de réciprocité à la "nature de l'histoire". Hypothèse à laquelle on est amené, tant l'interrogation à son propos (sauf à être déclaré "fou") reste insondable : qu'est-ce que c'est que cette dérive interprétative du discours qui plonge les dénominations dans un abîme de non-forme, non-sens ? - ; ce que j'ai déjà posé comme une aporie, conséquence d'une situation historique : le télescopage d'une tradition échue et de l'irruption d'une modernité.
S'il y avait "folie", ce serait l'effet perturbateur d'un impossible impensé : Dujardin n'aurait même pas eu droit à l'impensé d'une inconsciente nostalgie des origines : le passé lui échappe, l'horizon, dans son discours, en sombre dans les propositions aberrantes de son onomastique ; et, d'autre part, le présent/futur - couplés dans l'accélération des changements sociaux-culturels - le cernent et débordent sans qu'il en prenne conscience : il n'a pas accès à la modernité. 

Citant l'Essai sur l'origine des langues de Rousseau, Meschonnic commente : "L'état de nature du langage est dans l'expression, le geste "où le signe a tout dit avant qu'on parle". L'état civil est dans la "langue de convention". Dans l'état premier, "la nature dicte des accents, des cris, des plaintes. Voilà les plus anciens mots inventés ...". Si la première langue existait encore, "la plupart des mots radicaux seraient des sons imitatifs ou de l'accent des passions, ou de l'effet des objets sensibles : l'onomatopée s'y ferait sentir continuellement". Nature, proximité de la nature, c'est circulairement une question d'origine, "l'origine des institutions humaines". Avec la convention qu'est l'écriture succède "l'exactitude à l'expression", "toutes les langues lettrées doivent changer de caractère et perdre de la force en gagner en clarté". La formation première est naturelle :  les langues se forment naturellement sur les besoins des hommes.  Rousseau unit continuellement dans sa fiction théorique, la formation de la société, le langage et l'histoire. (...) Le double état de la théorie du langage, nature et convention, au XVIIIè siècle, correspond au double état de l'anthropologie, l'un tenant à la mystique, l'autre au conventionnalisme : le langage-convention joue le rôle de l'aspect-langage pour l'histoire sociale comme état de convention. Mais le rapport de nature entre l'histoire et le droit maintient le cosmique, - le religieux - chez Rousseau."

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